Jean Biès a rejoint d’autres cieux à Paris la nuit du 10 au 11 janvier 2014. Il avait 81 ans et n’a pu survivre à la mort de son « éternelle compagne » Rolande, grande adepte de Jung, qu’il avait rencontrée en 1953 à Alger. C’est elle « l’Initiatrice » (il avait écrit un ouvrage ainsi dénommé) qui l’avait ouvert à la psychologie des profondeurs, aux sagesses orientales et « présida » à son éveil spirituel dans sa librairie d’Alger, Le Lotus d’or. Ils vécurent dès 1963 dans une grande et belle maison restaurée au pied des Pyrénées, Saint-Michel-la-Grange, alors que Jean Biès enseignait les lettres grecques. Mais quand Rolande est atteinte de la maladie d’Alzheimer en 2007, le drame s’installe en lui. Jean Biès décrira son long accompagnement dans Le Deuil blanc, un ultime ouvrage à paraître cette année également chez Hozhoni.
Du côté de l’Orient et de l’écologie spirituelle
Toute la vie de Jean Biès fut dévouée à l’écriture. Il commença en 1963 par un Mont Athos (revisité en 1997). Il finira en 2012 par Qu’allez-vous faire de vos vacances (éd. Almora), un titre pas trop à sa manière mais à la vérité un guide pas très commun… Parmi ses quarante ouvrages, dont le thème central est la spiritualité ; et ce, sous les genres de l’essai, du récit, du témoignage, de l’entretien, du poème. On citera sa thèse, en 1973, qu’il avait consacrée aux liens entre la littérature française et la pensée hindoue ; son guide d’écologie spirituelle Sagesses de la terre ; ses Chemins de ferveur (édition révisée de L’Inde ici et maintenant) ; Passeport pour des Temps nouveaux…
Jean Biès a ainsi gravi les pentes de l’Athos et celles du Mont analogue de René Daumal, a parcouru les voies de l’Inde, rencontré quelques êtres réalisés-libérés comme le sheikh soufi Hadj Adda Bentounès ou le saint orthodoxe russe Jean Maximovitch.
Je considère l’unité des religions comme la seule et dernière solution valable à la crise planétaire, sans syncrétisme ni confusionnisme […] Cette unité des religions peut coïncider avec l’avènement d’un nouveau cycle, qui n’a en rien à être confondu avec l’actuelle mondialisation, matérielle et réductrice.
Ce vieux-jeune alchimiste-taoïste, de la plus authentique veine occidentale, aimait l’Orient et se reconnaissait pleinement dans l’humanisme de Montaigne. Mais ne nous trompons pas, Jean Biès se voulait avant tout écrivain et non maître spirituel. Sa langue respire une essence de nature poétique, faite d’honnêteté, de beauté et d’intériorité. »L’écriture est ma vocation, mon absolu ».
La conjuration du silence
Du 1er juillet 1950, alors qu’il n’a pas dix-sept ans, au 31 décembre 2007, annexe de l’entrée dans la maladie « sans nom » de sa chère épouse, Jean Biès a tenu un journal intime, principalement écrit depuis son « esplumoir » – ainsi nommait-il son athanor béarnais.
Dans sa préface François Chenet, indianiste, professeur de philosophie à la Sorbonne, considère à raison Jean Biès comme « un des penseurs et essayistes les plus originaux de son temps, et l’un des meilleurs écrivains de la seconde moitié du siècle dernier et du début du présent siècle […] cerné par la conjuration du silence ». Un silence qui s’explique en partie… Trop de profondeur, trop d’érudition, chez lui sans doute, mais aussi sa timidité certaine, son absence d’empathie pour les médias, son souci de rester caché. Et puis, l’observation que les lecteurs sensibles à l’initiatique ne le sont pas au style, et vice-versa. « Pour un public qui n’existe pas, j’écris des samizdat au pays de la liberté d’expression. Souffrance et fierté. »
Le journal de Jean Biès, en dépit de ses 900 pages – elles recoupent 57 années… – ne couvre pas vraiment le fil quotidien de sa vie mais des choses essentielles sont dites, des événements de l’actualité commentés, des rencontres évoquées et ses livres accompagnés.
Il y a quelques années, Jean Biès nous confiait : « Je ne suis pas un vieux sage mais un puer aeternus, un éternel adolescent, ne partageant pas les préoccupations des adultes, toujours ailleurs, un mercurien, pas les pieds sur terre, un aviateur, du type Saint-Exupéry ».
Adieu à l’inclassable Jean Biès, celui qui souhaitait « relier les points les plus opposés, comme, à l’aide de lignes, on relie les étoiles. »
Jean Biès Le Livre des jours, Journal spirituel de 1950 à 2007, Éd. Hozhoni, novembre 2014, 920 pages, 25 euros
Ecrit par Olivier Gissey. Publié le 30 jan 2015
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